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Léon Trierweiler

Résumé de l'interview

M. Trierweiler est né le 26 janvier 1937 à Strassen, au 8, route d’Arlon, à une époque où seules trois maisons bordaient cette voie. La première appartenait à un marchand de chevaux. Il a grandi entouré de ses quatre frères. Son père, né en 1892, travaillait à la Schmëlz à Schifflange.

L’école et le quotidien

Durant son enfance, il a parcouru chaque jour les deux kilomètres et demi qui le séparaient de l’école. Le matin comme à midi, il marchait pour rentrer déjeuner à la maison. Il se souvient que son père travaillait en équipes tournantes, ce qui le rendait peu présent à la maison. À midi, les enfants se dépêchaient de rentrer, espérant avoir la chance de manger avec lui. Quand ils tardaient trop, leur père n’hésitait pas à venir les chercher à vélo. Les hivers lui ont laissé un souvenir particulier. Arrivé trempé par la neige, il a souvent été placé, avec les autres enfants, devant le poêle par l’instituteur pour se sécher. Il évoque avec nostalgie la beauté de ces hivers d’antan.

La guerre et l’occupation

Il garde une mémoire vive de l’arrivée des Allemands par la route d’Arlon, alors bordée de noyers aux troncs massifs. Lors de son premier jour d’école en 1943, accompagné par sa mère, il a vu un « Gielemännchen » était l’instituteur chargé d’inscrire les élèves pour la rentrée. Il a également évoqué la présence de la Schutzpolizei (Schupo), composée en partie de vieillards locaux. Il cite notamment Toni Schneider, originaire de Steinfort, qui patrouillait régulièrement la route d’Arlon. En 1944, avec l’arrivée des Américains, la famille Trierweiler a quitté Strassen pour se réfugier en direction du Reckenthal. Ils ont emprunté un sentier par le jardin, et se sont cachés dans une cave. Une grenade a explosé près du croisement proche du café BENELUX, une autre sur la piste du jeu de quilles. Quelques jours plus tard, ils sont revenus à Strassen. Le père était déjà rentré et avait accroché un drapeau pour célébrer la libération, un geste que M. Trierweiler considère aujourd’hui comme une « idiotie », rappelant les événements tragiques de Pétange, où des Luxembourgeois, trop enthousiastes, ont été fusillés pour avoir fêté la libération trop tôt. Leur maison, elle, est restée intacte. Lors de la Rundstedtoffensive, les troupes américaines se sont repliées sur Strassen. M. Trierweiler a rendu visite aux soldats chaque jour. C’est là qu’il a rencontré, pour la première fois, un soldat noir américain. M. Trierweiler a noué un lien d’amitié avec un soldat américain et a pratiqué le troc. Il cherchait à obtenir des douilles d’artillerie, objets convoités à l’époque.

Une vie de village

À la fin de la guerre, un cortège a rassemblé toutes les associations du village. Le bourgmestre, dans un geste symbolique, a attaché un lampion à sa canne à pêche pour guider la marche. Les villageois ont ensuite fêté ensemble dans les cafés. M. Trierweiler décrit cette époque comme celle d’un « village soudé », où la vie associative jouait un rôle central. Chacun se connaissait, les liens sociaux étaient forts, et il affirme s’être toujours entendu avec tout le monde. Lorsqu’on lui demande si Strassen a gardé cet esprit communautaire, il répond sans hésiter : non. Selon lui, la commune s’est transformée, les habitants ne se connaissent plus, les grands immeubles ont remplacé les maisons familiales. Malgré ce constat, il reste attaché à Strassen : « Et ass schéin hei » (c’est beau ici), dit-il avec tendresse. Il souligne aussi que les anciennes générations entretenaient parfois des rivalités entre villages. Il se souvient que sa mère connaissait bien la Société des Sports Athlétiques de Strassen. À l’époque, ces jeunes, souvent fils de paysans, se rendaient parfois à la kermesse de Bertrange dans l’intention d’en découdre avec les locaux. Ces tensions se sont apaisées avec les années. Sa génération, en revanche, vivait en bonne entente avec les voisins. Il se rappelle avec plaisir les bals organisés par le club de basketball à Bertrange, auxquels il se rendait à pied, tout comme ceux à Kopstal, à Bridel (la Briddeler Stuff), ou encore au café Lacave à la Wandmillen. Les bals, souvent organisés par les pompiers ou d'autres associations, faisaient partie intégrante de la vie sociale. Le bal du Réveillon reste parmi ses plus beaux souvenirs.

Football

Son père n’aimait pas le football, qu’il considérait comme un sport réservé à ceux qui n’étaient pas ouvriers. Pourtant, M. Trierweiler y a trouvé une véritable passion. Il a même présidé le club de l’UNA pendant plusieurs années.

Tir à l’arc

Après une opération au genou, il a mis fin à sa carrière de footballeur. Sur les conseils de proches, dont Marcel Balthasar, il s’est tourné vers le tir à l’arc. Il a été membre de l’association pendant quatorze ans, qu’il décrit comme la plus belle période de sa vie. Chaque dimanche, il participait à des tournois. Il a même pris part à deux championnats d’Europe et deux championnats du monde.

Politique

À un moment de sa vie, il a figuré sur une liste électorale aux côtés de l’ancien bourgmestre Jean Wirtz, son voisin. Connu dans le village pour ses engagements associatifs, il a récolté de nombreuses voix, plus même que l’ancien bourgmestre Paul Barblé. Il n’a cependant pas été élu, ce qu’il considère aujourd’hui comme une chance, car il ne voulait pas faire de politique, mais simplement soutenir Wirtz.

Ateliers Barblé

Il se rappelle également des ateliers Barblé, dont le bruit des machines résonnait dans tout le village. Ce son faisait partie du quotidien sonore de Strassen.

Une commune en pleine mutation

Aujourd’hui installé au centre résidentiel pour personnes âgées « Riedgen », Monsieur Trierweiler a cru, à son arrivée, avoir quitté Strassen pour Bertrange. Ce n’est qu’en lisant le bulletin communal Eis Gemeng qu’il s’est rendu compte qu’il habitait toujours à Strassen. Cette confusion illustre bien à quel point la commune a changé. Il avoue ne pas comprendre comment Strassen est devenue une ville aussi peuplée, si différente de celle de son enfance. À l’époque, il se souvient d’une commune paisible, où tout le monde se connaissait. En parlant de la présence d’étrangers, il se remémore particulièrement les Italiens, qui selon lui se sont bien intégrés, notamment au sein des associations sportives, comme le club de football ou celui de tir à l’arc. Mais c’est surtout dans les cafés que les Luxembourgeois et les Italiens se retrouvaient et apprenaient à se connaître. Il raconte en rigolant. que les Italiens avaient leur propre table dans le bistrot et qu’il étaient toujours à l’heure pour l’apéritif, tandis que les Luxembourgeois occupaient d'autres tables. Cependant tout le monde discutait ensemble dans une ambiance conviviale.

Que signifie être un citoyen de Strassen ?

« Ech sinn stolz Stroossener ze sinn“, s’exclame Monsieur Trierweiler. Il nous confie être l’un des rares « vrais » Strassenois encore présents dans la commune. Pourtant, il avoue ne plus très bien reconnaître la ville d’aujourd’hui. Selon lui, ce qui faisait la richesse de Strassen à son époque, c’était la vitalité des associations, l’harmonie entre elles, ainsi que l'engagement des jeunes dans la vie sociale. Il attribue cette évolution à la forte présence d’étrangers qui, selon lui, peinent à s’intégrer pleinement à la communauté. Autrefois impliqué dans presque toutes les associations du village, Monsieur Trierweiler nous confie qu’aujourd’hui, il n’est inscrit nulle part et ne connaît plus vraiment la vie communale actuelle. Il observe tout de même que la commune investit beaucoup dans les infrastructures pour les jeunes enfants, ce qu’il considère comme une bonne chose, bien qu’il regrette que d’autres aspects de la vie communale soient quelque peu négligés.